Pour reprendre la discussion autour de la news du ''Château de Cagliostro'', et comme les débats sur Lupin III manquent terriblement sur de nombreux forums, je vous propose ici ma critique personnelle complète de ce second film avec images à l'appui si possible.
Attention, quand je critique je peux être cinglante mais aussi tout à fait objective. Cette critique portera donc tant sur les points négatifs que positifs du film.
On commence par le 3e doublage français qui est excellent (j'ai été très surprise qu'Ogouz s'amuse autant ce film qu'il avait pourtant doublé 20 ans auparavant, même s'il est vrai ça remonte à loin). Je me suis habituée à toutes les voix (sauf à une, inutile que je précise laquelle) et dans l'ensemble la traduction, peut-être un peu trop familière au début, reste fort savoureuse.
Le film
Le Château de Cagliostro est officiellement le second film de Lupin III. Premire grand film du futur Maître de l'animation japonaise poétique, garant d'une animation nippone de qualité en Occident depuis maintenant dix ans, ''Le Château de Cagliostro'' a marqué la carrière du cambrioleur franco-nippon et demeure l'un des préférés parmi les fans de Lupin III.
''Avoue que tu ne t'attendais pas à ça, hein ?!''
Néanmoins, si les noms des personnages de Lupin sont les mêmes, le reste est sujet à débats. Qu'en est-il par exemple de la fidélité à l'esprit satirique d'origine du manga ? Ne vous tourmentez pas durant des semaines en vous posant la question, l'humour madesque de Monkey Punch est inexistant. Ici, vous aurez droit à une gentille comédie policière dotée d'un humour discutable auquel certains (dont moi) n'accrocheront pas forcément. Si vous êtes amateur de l'humour miyazakien, de ses grimaces incessantes (et fort laides) et de situations d'une loufoquerie souvent stupide (représentées ici par les chutes de Zenigata ou encore les bagarres), aucun soucis : vous rigolerez beaucoup. Sinon… vous pouvez toujours vous consoler avec le second aspect du film : le côté romantique.
''Comment ça ? Lupin est tourmenté par ses souvenirs ? Il est en train de tomber amoureux d'une fille ? C'est quoi ce film ?!'' hurleront les fanatiques du Lupin anarchiste de Monkey Punch.
Cette célèbre scène de contemplation, typique de Miyzaki Hayao, présente un Lupin rêveur, capable de sentiments amoureux envers une jeune fille (aïe, et l'écart de l'âge dans tout ça ? 😯 😂 ) qui se souvient d'avoir déjà été une fois à cet endroit et d'avoir rencontré Clarisse il y a bien longtemps, lorsqu'elle n'était qu'une fillette. Une jolie histoire d'amour mignonette qui finira par se développer au cours du film, une histoire d'amour emprunt de controverses sociales (une princesse qui aimerait un voleur ? Allons donc !) mais aussi de moment plus burlesques comme en témoigne l'un des très rares moments où Lupin retrouve sa personnalité d'origine :
L'ambiance est romantique, poétique, tantôt douceâtre tantôt plus hard-boiled finissant par une énième course-poursuite comme on en a tant vécu… Une ambiance magnifiée par ses sublimes paysages et autres décors qui n'ont absolument rien à envier à certains tableaux rococo ou néo-classiques…
Si le scénario ne casse pas trois pattes à un canard (copie-collé du Roi et l'Oiseau), il se laisse assez facilement regarder grâce à de nombreuses scènes d'action qui permettent de maintenir le spectateur éveillé sans que le côté poétique du film ne soit pour autant bousculé. On notera même quelques idées assez inattendues dans un film aussi grand-public, comme l'histoire sombre des Cagliostro ou encore Interpol qui va jusqu'à faire du lèche-bottes au comte pour ne pas nuire aux relations diplomatiques. Le film débute également avec un certain punch et on se pique d’intérêt de connaître la suite. La première partie est rondement menée : du vol de fausse monnaie jusqu’au voyage dans les conduites d’eau du château, toute cette partie du film est vraiment remarquable et on ne voit pas vraiment le temps passer. La scène de course-poursuite est très fun et assez proche du véritable Lupin III, même si quelques idées rappellent celle du précédent film.
Le film souffre surtout d'une utilisation discutable des personnages (le syndrome “J’ai à ma disposition une multitude de personnages, mais j’en utilise que trois”). Les personnages sont ainsi sous-exploités dans leur quasi-majorité et seuls Zenigata, Lupin, Clarisse et Cagliostro sont digne d'intérêt et bousculent l'intrigue. Le reste des personnages est cantonné au rôle de faire-valoir (Jigen) ou d'élément de décor (Goemon). Miyazaki exploite déjà certains de ses chers thèmes présents dans pratiquement tous ses films, à savoir les machines volantes, la beauté de la nature, des instants poétiques entre les moments d’action ou encore la célébration d’une Europe imaginaire, mais sans la maturité de ses futures œuvres. La fin est très prévisible, mais se rattrape par quelques petites scènes émouvantes lors des adieux entre Lupin et Clarisse.
Les personnages principaux
De nombreuses critiques prétendent que si l’esprit de la série n’est pas vraiment respecté, la personnalité des protagonistes, elle, est plutôt fidèle si l’on excepte Lupin. L’est-elle réellement ? Le fan du Lupin sarcastique s’étonnera d’une Fujiko aventurière rappelant Nausicäa version adulte ou encore des relations étranges entre Jigen et Lupin, plus proches de la servitude que de l’amitié.
Zenigata, le flic féroce et cynique du manga, devient un policier généreux prêt à dénoncer le trafic de fausse monnaie alors qu’il sait parfaitement qu’il n’en tirera aucune gloire tant que les gouvernements seront du côté du comte. Certes, l’idée de lui donner un autre rôle que l’obsession d’arrêter Lupin est intéressante, mais le rend particulièrement fade. C’est un homme à l’origine égoïste et anticonformiste qui n’a rien d’un honnête représentant de la Loi. Souvenez-vous des nombreuses fois où il remballe ses supérieurs ou collaborateurs policiers lorsque ces derniers ne veulent pas le laisser agir comme il l’entend. Qu’un inspecteur comme Zenigata se lance dans une mission bienfaitrice alors que tout le monde s’en fout et ne le soutient nullement a beaucoup de mal à passer.
La scène de consolation est fréquemment parodiée comme vous pouvez le voir ici…
Fujiko, l’avide de sous et de luxe, est devenu une aventurière type garçon manqué dont le seul trait de caractère fidèle au personnage d’origine concerne sa rupture avec Lupin qu’elle traite de briseur de cœurs (attention, profitez bien de cette réplique : c’est l’une des seules fois où Lupin est critiqué négativement).
Lupin, notre playboy national (enfin, à moitié) qui rêve de prendre la virginité de toutes les filles qu’il rencontre dans ses aventures, est devenu un jeune niais généreux et romantique. Son côté coureur de jupons (qu’il avouera face à une jeune serveuse d’auberge) se manifestera par deux fois, mais sans qu’il ne songe à toucher les deux jeunes filles. Même s’il reste comique et imprévisible, son côté trop ''bon'' risque de choquer plus d’un amateur du Lupin d’origine.
Quant aux acolytes de Lupin, Goemon se borne à tenir le rôle de plante verte pendant que Jigen joue celui du bras droit (et non partenaire) de notre cambrioleur. Sa personnalité est retranscrite assez bizarrement : même s’il n’a jamais été une lumière chez Monkey Punch, Miyazaki le fait carrément passer pour un incapable manquant de lucidité et d’intelligence lorsque Lupin n’est plus là pour diriger les opérations (cf. la scène où les deux sont séparés par le courant en essayant de pénétrer dans le château). On retrouve dans le film certains traits de son caractère d’origine comme sa fainéantise ou encore son affection des armes à feu (il est qualifié de gunman maniaque par Miyazaki), mais dépourvu de sa classe légendaire et de son humour pince-sans-rire. Ses traits de caractères principaux qui dominent dans ce film sont :
La gourmandise… (ou la goinfrerie plutôt)
et sa spécialité (ici brutale) du tir aux armes à feu
Les personnages secondaires
Le comte de Cagliostro se présente comme un méchant redoutable, mais peut-être un peu trop classique. On n’y trouve pas encore le charme des adversaires des futurs héros de Miyazaki, aussi ambigus que redoutables, mais surtout loin d’être manichéens. Le méchant est ici un type brutal plus qu’imbu de lui-même qui ne remet jamais en doute son but ultime. Un choix surprenant au départ pour l'habitué aux personnages finement étudiés de Miyazaki (souvenez-vous de Muska, qui d'ailleurs rappelle pas mal Cagliostro en mieux).
Clarisse est une jeune fille en fin d'adolescence au design de Nausicäa (de loin la meilleure héroïne de Miyazaki), mais sans en avoir le charisme même si on finit par s’y attacher à la fin. Malgré sa naïveté, elle a néanmoins tous les atouts pour plaire aux fans du Maître : jeune, pure, gentille et courageuse.
Jodo le majordome et les gardes n’amènent pas grand-chose à l’intrigue vu qu’ils se contentent soit d’obéir comme de gentils toutous à leur maître soit de se bastonner avec la police de Zenigata.
Le chara-design
Le graphisme des personnages est un mélange entre le trait miyazakien tout en rondeur et le chara-design de la première série TV (1971). Le résultat sera repris sur Le Complot du clan Fuma, mais en plus réussi. Ici, les personnages ont des traits bien trop juvénils.
Lupin notamment donne l’impression d’avoir quatorze ans au lieu de trente. Ce design de collégien aurait pu passer dans le flashback sur ses années de jeunesse, mais là, avec dix ans de plus et des joues aussi rondes, on a beaucoup de mal à le prendre pour un adulte. Même s’il fait assez mignon (comprenez : dans le sens où l’on parle d’un très jeune enfant) avec ses joues de bébé, il peine à convaincre dès les premières minutes du film.
Quant à Zenigata, son design est beaucoup trop carré et le rend assez replet. Il faudrait peut-être penser à arrêter les Râmen, Tottsan…
Goemon fait plus âgé que d’habitude (quelle ironie, alors qu’il est le plus jeune dans le manga), mais son design est encore passable, probablement parce qu’on le voit peu.
Médailles d’or ex-aequo Fujiko et Jigen pour les chara-design les plus laids du film :
Le cow-boy ordinairement taciturne (bien agité dans ce film, d'ailleurs) aurait largement besoin de passer chez le coiffeur vu la masse de cheveux qui lui couvre le visage (le faisant passer pour un adolescent rebelle) et de soigner un peu son alimentation, car à force de se nourrir exclusivement de conserves et de nouilles instantanées, il semble avoir pris pas mal de poids depuis ses dernières aventures.
Le chara-designer aurait quand même pu le rendre un peu plus classe, vous ne trouvez pas ? (Non, ce n'est pas du fangirlisme).
Quant à notre voleuse de charme, le profit poupée Barbie ne passe plus vraiment sur une trentenaire. Et sa blondeur est une insulte au personnage crée par Monkey Punch.
Mais après tout, peut-on se contenter de l'esthétisme du film, de ses décors et de quelques bonnes idées par-ci par-là, oublier comment Miyazaki a ridiculisé les personnages de Lupin III, se déconnecter durant 1h30 de la réalité pour bénéficier de la beauté technique du film, et ce même si certains second plans sont complètement ratés ? À vous de trouver la réponse 😁
Assurément, ''Le Château de Cagliostro'', tout comme ''Lupin contre le clone'', marque durablement le spectateur, l'un par son côté provocatif, l'autre par son esthétisme. Qu'on n'accroche pas à cause de l'esprit complètement à côté de Lupin III ou qu'on accroche grâce à ses qualités techniques, ''Le Château de Cagliostro'' a clairement inspiré de nombreux films ou réalisateurs.
En 1995, le cinquième film mettra en scène un immeuble truffé de pièges, de galeries mystérieuses et de pleins de surprises… et reprend son chara-design
En 1993 déjà, le cinquième (tiens, aussi ?) téléfilm exploite certains côtés de ''Cagliostro'' en les modernisant et en les transférant dans une ambiance jamesbondienne teintée de tragédie même s'il est vrai, cela ne se remarque que très peu au premier abord. Là aussi, le chara-design est similaire. Si ce n'est que Jigen reprend le rôle du voleur au coeur d'or.
Qu'on reproche au film sa sous-exploitation des personnages ou bien d'autre chose, une chose est sûre : qu'on ait aimé ou non, ce film marque les esprits tout comme ''Lupin contre le clone'' était une véritable claque à toute morale, religieuse ou simplement sociétaire…