Nabari (ou Nabari no Ou, “le roi de Nabari”) est un très joli manga de Yuhki Katamani, paru en 14 volumes aux éditions Asuka/Kaze. Probablement du fait de la disparition de son éditeur initial puis de sa reprise, il a eu très peu de couverture et, je le crains, est passé relativement inaperçu.
Pourtant, c'est un titre que j'ai beaucoup aimé du début à la fin, et pour lequel je garde une affection particulière ; je vais ici tenter de vous expliquer pourquoi. 😁
Au Japon de notre époque moderne, à l'insu de tous, le monde des ninjas continue de subsister. Ses membres sont fondus dans la société, certains ont même infiltré les sphères politiques. Ce monde caché, très secret, est appelé « Nabari ».
A travers le pays, cinq clans se distinguent, héritiers de traditions millénaires : les Kairoshu d'Iga, le village de Banten, le clan Fûma, les Togakushi et les Kôga. Chacun de ces villages détient une technique interdite faisant sa spécificité. Il fut un temps, pourtant, où ces savoirs furent regroupés et mis à contribution pour créer le hijutsu ultime, celui de la connaissance entière de l'univers et des choses : le Shinrabanshô.
Rédigé à l'époque médiévale, le Shinrabanshô s'incarne dans un corps humain. Ses écrits s'introduisent dans chacune des cellules de son porteur. S'il parvient à les accepter, puis à s'en servir, l'élu du Shinrabanshô peut devenir un être tout puissant, capable de réécrire le temps, de ramener les morts, de modeler l'univers et d'exaucer le moindre de ses souhaits. Le « roi de Nabari » est à la fois une figure suprême et une personne bien malheureuse car il fixe l'attention de tous, et surtout… leur convoitise.
Notre histoire commence sur un collégien ordinaire prénommé Miharu. Il est un peu étrange, se caractérisant par son indifférence perpétuelle. Orphelin, il vit avec sa grand-mère et aspire à reprendre plus tard son restaurant d'okonomiyaki. Son avenir suivra-t-il ce cours calme et sans remous ? Non, vous l'aurez deviné, car Miharu n'est rien de moins que le nouveau porteur du Shinrabanshô.
Lorsque la technique choisit de s'éveiller en lui, le monde de Nabari se met en alerte. Des inconnus s'invitent dans sa vie, certains amicaux, d'autres beaucoup moins. Dans ce monde impitoyable, au centre de tous les conflits d'intérêts, Miharu réussira-t-il à tirer son épingle du jeu ? Parviendra-t-il à se trouver, lui dont l'extrême détachement semble cacher un malaise profond ?
Nabari est imprégné de l'univers des ninjas, mais on est loin de la vision ultra fantasmée de Naruto. Malgré la présence de techniques surnaturelles, on est plutôt proche de la réalité historique (Iga est réellement, par exemple, l'un des grands berceaux du ninjutsu au Japon), mais surtout plus près de l'esprit général. Le monde de Nabari est celui de l'ombre, secret et dangereux. Les combats sont brefs, ils ne pardonnent pas. Le traitement rappelle à quel point l'univers des shinobis (les vrais, dont on peut avoir un très bel aperçu au musée d'Iga justement) était aussi fascinant qu'impitoyable.
Cette lecture plus mature du « mythe » du ninja fait-elle l'unique force de ce titre ? Assurément, elle n'est pas la seule.
Ce manga transpire avant tout d'humanité, mais sans étalage et tout dans la finesse. Les personnages y sont attachants, jamais manichéens, très nuancés. Surtout, lentement au fil des tomes se lie une relation fort improbable de prime abord entre le héros et un certain personnage, extrêmement sincère et touchante. Bâtie tranquillement mais sûrement, cette histoire offre des passages parfois très beaux, parfois terribles, toujours émouvants.
Enfin, la qualité va toujours augmentant et, là où d'autres récits auraient pu s'essouffler, on finit au contraire par des volumes d'une grande intensité où notre héros se révèle pleinement.
Nabari parle du cœur, de la vie, et, à travers l'histoire du Shinrabanshô, des choix à faire et des responsabilités. C'est un titre intransigeant avec parfois des situations très violentes physiquement ou psychologiquement, des passages choquants et cruels, mais le fait est que la vie est cruelle, surtout dans le monde des ninja.
A côté de cela, un geste simple, un sourire peuvent y devenir des choses sublimes, et l'on suit avec un regard bienveillant notre petit héros sortir de l'indifférence pour atteindre la sérénité. L'un et l'autre ont exactement le même visage, me direz-vous ? Si vous lisez Nabari, vous vivrez bien des choses entre les deux, et vous saurez percevoir tout ce qui les sépare.
Notez qu'il existe un anime de 26 épisodes produit en 2008 par J.C.Staff, édité en DVD chez Kaze. Sa fin est honorable et très émouvante, elle est cependant différente du manga, resté en prépublication de 2004 à 2010.
S'il est globalement tourné vers l'action, ce manga est un titre très attachant où l'auteure a mis, on le sent bien, toute sa (grande) sensibilité. Sans vague et sans manifestation tonitruante, Nabari fait ses quatorze tomes de chemin avec un récit sincère et prenant : c'est une perle délicate, une jolie œuvre à part.